Lorsqu’arrive le temps de choisir un sujet à traiter dans le cadre d’un nouvel article, j’ai d’abord le réflexe de m’inspirer des actualités dans mon domaine afin d’y puiser des idées. Le sujet que j’aborde aujourd’hui comporte une facette plus personnelle qu’à l’habitude, car c’est essentiellement la raison qui m’a amenée vers le design industriel. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été passionnée par le design automobile, avant même de connaître la signification du mot « design ». Du point de vue du consommateur, c’est un sujet incontournable, car l’automobile occupe une grande partie de nos vies. La voiture est souvent considérée comme un bien essentiel, en haut de la liste des postes de dépenses les plus importants d’une famille. Elle sert également de marqueur social, elle a le pouvoir de diviser ou de fédérer des individus.
C’est également un sujet incontournable d’un point de vue du design, pour ces mêmes raisons qui font en sorte que les fabricants ont compris depuis longtemps que le succès d’un véhicule est directement relié aux ressources investies dans son développement. Certains diront que le design industriel a acquis ses lettres de noblesse grâce au design automobile. Quoiqu’aucune donnée scientifique ne vient étayer cette affirmation, il est à tout le moins indéniable que ce domaine a grandement participé à l’évolution de la profession en termes de notoriété et de méthodes de conception. Je vous guiderai donc à travers le processus simplifié de conception d’une voiture, de son idéation jusqu’à sa mise en production.
Les premières esquisses
Il s’agit de dessins à main levée, généralement monochromes, servant à illustrer la vision stylistique du designer. La nature et l’objectif des esquisses peuvent varier grandement et ces facteurs influenceront la façon dont celles-ci seront illustrées. Par exemple, une esquisse de voiture concept servira à explorer une nouvelle volumétrie ou à illustrer une vision futuriste de la marque qui pourrait influencer certains codes esthétiques dans l’évolution naturelle des véhicules de production. Dans ce contexte, il pourrait en résulter des sketchs moins précis où certains détails ne sont pas traités comme les piliers de toit, les jantes ou les joints de panneaux par exemple. Le niveau de détail augmentera à mesure que le concept gagnera en maturité. Il en va de même dans un contexte où le designer travaille plutôt à la refonte d’un produit existant de la gamme, car le volume général et l’approche stylistique sont largement établis.
Les esquisses peuvent se faire de manière classique sur du papier et différentes sortes de crayons ou de manière numérique, à l’aide d’une tablette graphique et différents logiciels. Dans tous les cas, cette dernière est la manière la plus rapide pour le designer d’illustrer ses idées. Certains ont cru, à tort, que le dessin à la main allait pratiquement disparaitre avec l’avènement ou le perfectionnement des logiciels de modélisation 3D. Quoique la ligne est de moins en moins nette entre les deux médiums, il demeure que le geste possède cette force de solliciter l’âme du designer, pas seulement sa tête. Il arrive parfois même que celui-ci se surprenne par un résultat quasi accidentel dans lequel se cache peut-être l’avenir d’un constructeur.
Rendu (rendering)
L’étape du rendu (rendering) consiste à raffiner les esquisses sélectionnées pour un développement plus poussé ayant pour objectifs d’illustrer les intentions du designer en termes de traitement de surface, de matérialité et de langage. Il s’agit d’une tâche multimédia. Autrefois réalisée à la main avec du matériel d’artiste, le rendu est majoritairement réalisé de façon numérique à l’aide des logiciels tels qu‘Adobe Photophop ou Autodesk Alias. Les avantages des logiciels sont nombreux :
- Possibilité d’agrandir et de réduire l’image (zoom in/out)
- Annuler un coup de crayon (undo)
- Infinité de grosseur, de couleur et de type de crayon
- Variation d’opacité du tracé
- Édition des calques séparément
- Ajout d’images (arrière-plan, jantes, personnages, textures)
Certains rendus auront comme objectif d’avoir un impact maximum, de faire un « statement » dans le jargon. Ils seront généralement très artistiques, souvent intégrés dans une mise en contexte avec certaines composantes exagérées comme l’effet de trainée des feux. D’autres rendus, comme l’exemple ci-haut, seront plus photo-réalistes afin de présenter un produit tangible, qui semble plus mature en termes de développement.
Modélisation 3D
En design industriel, nous séparons généralement la modélisation 3D en deux catégories : volumique et surfacique. La modélisation volumique consiste essentiellement en l’addition et en la soustraction de volumes créés à partir de primitives de base (cubes, cylindre, sphère, etc.) ou par l’extrusion de tracés. Comme les voitures possèdent des formes plus complexes, elles sont donc exécutées à partir de la modélisation surfacique. Celle-ci consiste à relier des points dans l’espace ou à donner un parcours précis à une série de points. Une fois la surface ainsi créée, on peut lui donner une épaisseur et arrondir les champs pour imiter les panneaux de carrosserie. Le designer commence généralement par l’importation d’une ou de vues dessinées à la main, pour s’assurer de respecter le concept bien sûr, mais aussi comme guide de proportion.
Le respect des proportions est un des grands défis dans la conception d’un véhicule. La modélisation 3D a l’avantage de permettre au designer de mieux respecter les paramètres physiques réels comme l’empattement, la hauteur du pavillon de toit ou le dégagement des roues. Cette étape de conception a plusieurs utilités. Elle sert notamment de base d’analyse de dimensionnement, ce qui est très difficile à réaliser en dessin à la main. On peut aussi s’en servir pour présenter toutes les vues imaginables, faire des mises en contexte photo-réaliste et promouvoir le modèle avant même qu’il existe. Une autre utilité est de permettre la création de la base pour la maquette physique.
Maquette physique (clay model)
Il s’agit d’une étape délicate et laborieuse, nécessitant beaucoup d’équipements spécialisés, donc très onéreuse pour les constructeurs. Pour cette raison, certains tentent d’abandonner la pratique, une erreur en ce qui me concerne, car ça demeure de loin le meilleur outil permettant d’arriver à un design résolu qui correspond en tout point aux attentes de l’équipe de design. Certaines stratégies peuvent être utilisées afin d’économiser espace, temps et argent, comme réaliser seulement la moitié du véhicule et l’adosser à un miroir. On peut également réaliser la maquette à l’échelle un cinquième (1:5). Cette stratégie est généralisée chez les étudiants pour des raisons évidentes, et aussi pour la présentation de voitures concepts servants d’exercice de style.
Le noyau de la maquette est généralement conçu de mousse de polystyrène sur lequel on ajoutera une épaisseur d’argile qui confère à la maquette sa couleur brunâtre. Le premier défi se situe sur le plan de l’obtention d’un volume très fidèle à celui du véhicule désiré, et surtout une symétrie parfaite de celui-ci. C’est à ce moment que la modélisation 3D réalisée en amont entre en jeu. Elle servira de guide aux outils robotisés d’enlèvement de matière. La surface sera ensuite lissée à la main à l’aide de différents outils jusqu’à ce que le véhicule soit parfaitement fidèle au véhicule souhaité.
L’argile est un matériau dont la texture plutôt mate ne reflète pas très bien la lumière. Il est donc difficile pour les concepteurs de bien saisir toutes les subtilités de la forme. Pour pallier ce défaut, ils utilisent du ruban adhésif très fin qui sera appliqué sur les arêtes du modèle, ce qui viendra faciliter la lecture graphique. Ils utiliseront également des pellicules réfléchissantes, qui ressemblent à du papier d’aluminium, ayant la particularité d’épouser parfaitement les formes complexes une fois chauffées. La maquette terminée fera l’objet d’une numérisation 3D et retournera à la modélisation pour des fins de fabrication.
En terminant, il convient de préciser que le processus n’est qu’un survol rapide et qu’il n’est en fait pas aussi linéaire. Plusieurs étapes se font en réalité quasiment en simultané et s’alimentent l’une l’autre. Un designer pourrait, par exemple, réaliser un volume de base en modélisation 3D pour établir certains paramètres dimensionnels pour ensuite dessiner dans les bonnes proportions à partir des vues extraites.
En design automobile, tout est une question d’émotion. C’est pourquoi le geste, que ce soit en manipulant un crayon, une roulette de ruban adhésif ou en lissant de l’argile, demeurera toujours au centre des méthodes de conceptions de voitures. Car il réside dans le geste, quelque chose de mystérieux, de magique, qui fait vibrer l’émotion chez l’être humain.