L’été 2021 tire à sa fin. Un été marqué par une succession de malheureux records notamment sur le plan des chaleurs enregistrées, du nombre d’incendies de forêt et les ravages qu’ils provoquent, de la faible quantité de pluie tombée, et j’en passe. Parallèlement, le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) était rendu public le 9 août dernier (https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/). Sans entrer dans les détails, le rapport évoque une augmentation et une accélération des phénomènes climatiques extrêmes dus à l’activité humaine. Il martèle l’urgence d’agir sur la réduction des productions de gaz à effet de serre, de façon à réduire l’augmentation mondiale des températures moyennes. Dorénavant, l’ennemi public numéro un est le carbone.
Le défi est de taille. L’être humain est un animal de consommation, et la consommation, ça produit du carbone. Les produits dont le cycle de vie complet est carboneutre n’existent pas. Une entreprise peut compenser ses émissions en achetant des crédits carbone, ou en plantant des arbres, la réalité demeure que le produit de consommation devra être emballé, transporté, utilisé et un jour, au mieux recyclé. Pour en apprendre davantage sur le cycle de vie des produits, je vous invite à lire mon article sur le sujet. Dans ce dernier article, j’énumère les différents aspects de la mise en marché d’un produit jusqu’à sa fin de vie et comment ces aspects influencent le travail des designers. Lorsque nous sommes confrontés à cette avalanche d’informations environnementales, nous avons souvent le réflexe de nous remettre en question en tant que consommateurs. Concrètement, comment pouvons-nous faire partie de la solution? La réponse rapide : consommer moins et mieux.
Cet article sera en quelque sorte l’antithèse du précédent, c’est-à-dire que je traiterai des facteurs qui favorisent la réduction de la consommation, et comment les designers peuvent s’en inspirer dans leur pratique professionnelle.
Besoins versus produits
D’entrée de jeu, je dois traiter la question de « besoin ». Tous les produits qui sont mis en marché ont la prétention de répondre à un besoin. Ces besoins n’ont pas tous la même importance certes, mais il n’en reste pas moins qu’aucun produit de consommation ne sert strictement à rien. En tant que consommateurs, nous avons tous le pouvoir, je dirais même dorénavant le devoir, d’évaluer nos besoins et de modifier nos comportements de façon à faire en sorte de consommer moins et mieux. En tant que designer, il est également possible d’agir sur ce front. La conception d’objets, qui ont plusieurs fonctions à la fois, est une des nombreuses avenues possibles. Prenons l’exemple du sofa-lit. Comme son nom l’indique, c’est à la fois un sofa et un lit. Les deux fonctions répondent à un besoin commun, c’est-à-dire procurer du confort, mais la magie réside dans le fait que les deux produits ne sont jamais utilisés au même moment.
Un autre argument souvent évoqué est qu’un produit qui possède plusieurs fonctions répond moins efficacement à chacune d’elles. Le couteau suisse est souvent cité pour illustrer ce principe, car le principe même de l’objet en est presque une caricature.
Il est en mesure de réaliser une quantité impressionnante de tâches, mais n’est pas très efficace pour aucune. Ce couteau s’adresse à un contexte d’utilisation bien particulier pour lequel la portabilité est beaucoup plus importante que toute autre caractéristique, dont la performance de l’outil à l’accomplissement d’une tâche. Revenons au sofa-lit. Ce produit n’a pas la réputation d’être un excellent sofa et encore moins un lit très confortable pour la grande majorité des gens. Cet argument tient de moins en moins la route, comme le démontre l’entreprise Expand Furniture qui conçoit et fabrique du mobilier modulaire résolument haut de gamme et de grande qualité. Le mobilier modulaire est d’ailleurs un secteur qui connait une croissance phénoménale depuis plus d’une décennie.
La stratégie de combinaison des fonctions dans un seul appareil ne date pas d’hier et elle est au centre de la conception d’une multitude d’appareils que vous utilisez tous les jours sans que vous en ayez conscience. L’exemple le plus significatif est votre téléphone. Celui-ci a probablement remplacé votre appareil photo, votre calendrier, votre calepin de notes, votre miroir portatif, et pour certains, l’ordinateur et la montre. Cette dernière remplacera peut-être le téléphone un jour et c’est là toute la prétention du wearable electronics (électronique portable), qui fera l’objet d’un prochain article.
Durée de vie d’un produit
Le second aspect dont je traiterai est celui de la durée de vie, au sens large, d’un produit. Je dis au sens large, car la durée de vie comporte plusieurs paramètres sous-jacents. Le premier est ce que l’on appelle la durée de vie utile qui fait référence à la qualité de fabrication et la « réparabilité » du produit. En d’autres mots, nous devons le remplacer parce que celui-ci n’est plus en mesure d’accomplir la tâche à laquelle il était destiné et ne peut être réparé. Il n’est pas faux de penser que les produits mieux conçus utilisant des matériaux de meilleure qualité auront généralement une plus longue durée de vie utile. Une bonne façon pour les designers de concevoir de façon écoresponsable serait donc d’optimiser la durée de vie de leurs produits en exploitant la qualité. Mais ce n’est malheureusement pas suffisant, car si ça l’était, les gens changeraient de voiture aux 20 ans, quand celle-ci n’est à peu près plus réparable.
Une autre stratégie utilisée par les designers pour favoriser la durée de vie des produits est de faire en sorte que l’utilisateur développe une sorte de relation avec l’objet, de façon qu’il ne souhaite jamais s’en départir. Pour ce faire, ils tenteront de donner une personnalité propre à l’objet, qui peut transparaître à travers le design et prendre racine de maintes façons que ce soit par une provenance historique de l’objet ou des matériaux utilisés. Il arrive que cet attachement fonctionne tellement bien que l’objet devient un élément symbolique, qui pourrait lui valoir d’être transféré de génération en génération. L’apogée de la réussite en design arrive lorsqu’un produit devient une sorte d’icône, un objet convoité dont l’image va au-delà de sa fonction, comme c’est le cas pour le fauteuil Barcelona de Ludwig Mies van der Rohe et Lilly Reich. Malgré le fait qu’il a été conçu en 1929, il demeure très actuel et continu d’être symbole de raffinement et de sophistication. Il vaut plus de 6000 $ (pour un authentique) certes, mais vous n’êtes pas sur le point d’en voir un en bordure de rue un 1er juillet, et c’est là l’essence de l’argumentaire.
Principe de possession
Je fais référence au principe de possession. La société de consommation dans laquelle nous vivons fait en sorte que lorsque se présente un besoin, nous avons le réflexe d’aller combler ce besoin en achetant un bien. De cette façon, il nous appartient, nous pouvons nous en servir quand bon nous semble. Mais combien de produits possédez-vous à la maison dont l’utilisation se compte en heures dans une année et non en jours? Ce qui m’amène à parler d’économie de partage, aussi appelée économie collaborative. Ce principe, appliqué par les centres de location d’outils, de camions et de remorques, n’a rien de nouveau. Ce qui est nouveau est l’augmentation fulgurante de ce principe alimenté par la multiplication des applications favorisant cette économie. On a qu’à penser à Communauto ou Airbnb.
Cette approche influence grandement le travail des designers dans la conception des produits et cette réalité va aller en augmentant. Le domaine de l’automobile est celui qui innove le plus en la matière. En effet, se procurer une voiture coute cher et elle sert de façon générale quelques minutes à quelques heures par jour. Une stratégie qui se dessine à l’horizon réside dans la possibilité de commander une navette au besoin qui se déplacerait de façon totalement autonome. C’est l’équivalent d’un chauffeur privé virtuel. Cette éventualité amène une toute nouvelle façon de concevoir les véhicules. Je vous invite à visionner les courtes vidéos de l’article suivant pour un avant-goût de ce qui nous attend dans les années à venir : https://www.formtrends.com/shared-vehicle-concepts-some-thoughts-for-students/
Un des principes de la démocratisation de l’économie de partage est le principe de possession. Nous sommes en quelque sorte conditionnés, comme consommateur, à posséder les objets que nous utilisons. De plus en plus de mouvements s’élèvent pour remettre en question ces conditionnements qui ont pour effet d’aider notre planète à mieux respirer, et notre budget par le fait même. Pour ceux qui désireraient pousser l’introspection plus loin, je vous recommande de visionner les excellents documentaires Minimalism et The Minimalists: Less is Now.